

Mozambique: le projet gazier géant de TotalEnergies à un tournant
Le projet gazier mené par TotalEnergies au Mozambique, un investissement de 20 milliards de dollars, pourrait prochainement reprendre après avoir été mis à l'arrêt dans la foulée d'une sanglante attaque jihadiste en 2021.
La manne gazière tant attendue par le Mozambique, un des pays les plus pauvres au monde, ne se concrétisera pas immédiatement: le PDG du groupe français Patrick Pouyanné a dit le mois dernier au Nikkei espérer un début de production en 2029.
Selon sa direction, TotalEnergies envisage de relancer le projet dans le courant de cet été, et M. Pouyanné serait attendu à Maputo courant juillet, selon une source proche de l'industriel à l'AFP.
Pour que le projet reprenne, il reviendra aux actionnaires du projet Mozambique LNG (dont TotalEnergies a 26,5%) de lever la force majeure, qu'ils avaient eux-mêmes invoquée en 2021 après l'attaque.
- Réserves colossales -
Paradoxe, le pays d'Afrique le plus vulnérable au changement climatique - selon le World Risk Index de 2023 - dispose de gigantesques réserves de gaz naturel décelées au début des années 2010 au large de la province de Cabo Delgado (nord), dans le bassin de Rovuma.
Le début d'une "ruée vers le gaz" mozambicain et de projets de production de gaz naturel liquéfié qualifiés de "bombes climatiques" par le collectif "Say No to Gas", rassemblé autour de l'ONG locale Justica Ambiental.
La Banque africaine de développement évoque des réserves de plus de 5.000 milliards de mètres cubes de gaz. "Suffisamment pour approvisionner la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Italie pendant près de 20 ans", écrivait-elle en 2018.
- Multiples projets de multinationales –
Le site offshore flottant du groupe italien ENI à Coral Sul, dont une réplique plus au nord devrait bientôt être officialisée, a bien commencé à produire fin 2022, représentant l'équivalent du quart de la capacité de production de celui de TotalEnergies.
Enfin, un troisième projet, à la capacité encore supérieure et conduit par la jaor américaine ExxonMobil devrait recevoir l'an prochain sa décision d'investissement finale, dernière étape avant sa mise en oeuvre, d'après le président mozambicain.
Ces projets "pourraient faire du Mozambique un des dix premiers producteurs mondiaux (de gaz, ndlr), contribuant à 20% de la production africaine d'ici 2040", d'après un rapport du cabinet d'audit Deloitte de 2024.
Le projet de TotalEnergies - comme celui d'ExxonMobil - comprend des installations de liquéfaction onshore pour transformer le gaz à l'état liquide et ainsi pouvoir le transporter par la mer.
- Insurrection jihadiste et justice saisie -
Une insurrection jihadiste déchire le nord du Mozambique depuis 2017. Dans son épisode le plus marquant en mars 2021, le groupe local affilié à l'organisation Etat islamique a pillé plusieurs jours durant Palma, la ville voisine du site, et fait de nombreuses victimes.
L'ONG Acled, qui collecte des données sur les conflits, a dénombré 801 morts dans l'attaque, dont des dizaines de sous-traitants.
Une information judiciaire a été ouverte en France pour homicide involontaire contre TotalEnergies, à la suite de plaintes de survivants et familles de victimes. Ils reprochent au groupe de ne pas avoir assuré leur sécurité.
Des soldats mozambicains chargés de protéger le site gazier à cette période-là ont aussi été accusés d'exactions mortelles sur des villageois dans des témoignages recueillis par le média Politico. La justice mozambicaine et la commission des droits de l'homme du Mozambique ont ouvert une enquête. TotalEnergies a souligné avoir "sollicité" ces investigations.
Depuis le début de l'insurrection en 2017, 6.000 morts ont été dénombrés par l'Acled.
- Intervention rwandaise financée par l'UE -
Face à l'incapacité du groupe paramilitaire russe Wagner à endiguer les insurgés, des soldats rwandais ont été déployés en 2021.
L'Union européenne a renouvelé le financement de cette opération cette année malgré l'implication du Rwanda dans le conflit dans l'est de la République démocratique du Congo. Bruxelles cherche à diversifier ses approvisionnements pour limiter sa dépendance au gaz russe.
Environ 48.000 personnes ont été déplacées par des attaques moins meurtrières mais encore fréquentes depuis le début de l'année, d'après l'ONU.
Trois mois de vive contestation des résultats des élections générales d'octobre, entachées d'irrégularités, ont aussi retardé la reprise du projet.
- Retombées miracle ou mirage? -
La croissance du Mozambique "devrait s'accélérer fortement pour atteindre 10% en 2028 et 2029, lorsque le premier projet onshore commencera à produire", estimait l'an passé le Fonds monétaire international (FMI).
Un bond spectaculaire pour un pays à la croissance estimée à 2,5% en 2025 par le FMI.
Le projet de TotalEnergies ne doit créer que 5.000 emplois locaux au pic de la construction, d'après le consortium Mozambique LNG.
Les retombées de cet "Eldorelgado" dépendront du fonds souverain créé par les autorités du Mozambique. Un pays où une partie de la classe politique a déjà été prise dans un scandale de détournement de fonds illégalement empruntés par des entreprises publiques.
J.Morris--RTC